Molière, sa majesté l'acteur
oratorio pour choeur d'enfants
ARNAUD MARZORATI
DIRECTION ARTISTIQUE, VOIX
PIERRE SENGES
LIVRET
CHOEUR D'ENFANTS
PERNELLE MARZORATI
HARPE TRIPLE
CLAIRE-OMBELINE MUHLMEYER
FLÛTE À BEC, SACQUEBOUTE
JOËL GRARE
PERCUSSIONS
PATRICK WIBART
SERPENT
GABRIEL RIGNOL
THÉORBE
Avant d’être Molière acteur et dramaturge, le jeune Jean, dit Jean-Baptiste Poquelin, se fait spectateur : ce qu’il voit dans les rues de Paris, sur le Pont-Neuf, dans les églises, près du Palais Royal ou dans les auberges, lui fait déjà l’effet d’un grand spectacle. Tout ce qui contribue encore aujourd’hui à l’incomparable richesse de son œuvre vient précisément de sa faculté à se nourrir de tout pendant ses années de formation : des tripots et des sermons, des chansons à boire et des Ave Maria, des processions et des algarades, des livres et des crieurs, de poésie et du bagout des marchands.
Plus tard, à l’heure de découvrir les arts du spectacle, Molière fera une fois encore feu de tout bois : il se nourrira des pièces de Scudéry, de Rotrou et du grand Corneille, mais il ira aussi s’instruire en allant admirer les mimes, les marionnettes et les farces vulgaires. Au moment d’écrire Les Fourberies de Scapin, il se souviendra de la Commedia italienne, et des tours cruels d’Arlequin et Polichinelle.
A l’école du Pont Neuf fait revivre, au cours d’un épisode imaginaire de la vie du jeune Poquelin, ce Paris des bateleurs, du Pont-Neuf et des premiers théâtres. À travers le regard de Jean-Baptiste, il invite à découvrir la scène et ses coulisses, là où le vrai se mêle au faux. La joyeuse richesse de ce monde des rues, des places et des tréteaux peut être encore la nôtre si on la ranime le temps d’une représentation. Et l’énergie du jeune Molière, toujours avide de découvrir, d’en découdre puis de se moquer, est communicative.
Après-avoir réalisé un livre-disque autour des Fables de Jean de La Fontaine, l’écrivain Pierre Senges et l’ensemble vocal et instrumental Les Lunaisiens poursuivent leur investigation originale autour de l’œuvre d’un des plus grands dramaturges et comiques de notre littérature et de notre théâtre.
Ce projet a pour objectif de plonger des jeunes auditeurs et lecteurs dans un univers puissant et rocambolesque où l’Histoire, la littérature et la musique s’entrecroisent, se mélangent et s’enrichissent mutuellement pour aboutir au meilleur des spectacles. Celui du rêve et de l’inventivité que l’on évoque et que l’on s’approprie à chaque fois que l’on se surprend au plaisir absolu de la lecture.
Lire Molière, en long et en large, tel est le mal que nous souhaitons à chacun.
Notre nouvelle Epopée pourrait se confondre avec celle du Roman Comique de Scarron ou du Capitaine Fracasse de Gautier. Une vie de comédiens vécue et racontée de manière picaresque. Mais pour le coup, Molière n’est ici qu’un enfant et c’est par le prisme de son regard que nous souhaitons plonger des enfants du XXIe siècle au cœur même de la métamorphose d’un petit garçon qui de par la tradition de sa famille se devait de devenir tapissier.
Il choisit pourtant le métier de l’anathème car les comédiens doivent supporter bien souvent l’excommunication des prudes et la vindicte des puissants (l’archevêque de Paris en viendra même à excommunier certains spectateurs qui avaient osé se rendre à une représentation du Misanthrope).
Il fréquentera certes par la suite les géants du pouvoir, de Conti à Fouquet, il sera aussi l’homme de plume le plus proche du Roi Soleil qui à plusieurs reprises, l’accompagnera financièrement et intellectuellement dans cette entreprise ambigüe qui consiste à se moquer des puissants et des nantis.
Mais le paradoxe de ces amitiés qui pourraient prétendre à un confort pécuniaire et à une protection physique face aux menaces multiples qu’encoure un écrivain, mis au rang de valet et qui peut recevoir, comme Cyrano de Bergerac ou Voltaire, des coups de bâtons sur le corps pour quelques phrases trop incisives, le paradoxe est que l’on peut tout perdre en si peu de temps : fortune, joie et paradis.
Jean-Baptiste Poquelin choisira la liberté totale, que tout enfant, durant ne serait-ce qu’une période de sa jeunesse, devrait tenter de s’approprier en jouant avec le pouvoir des mots, en parodiant les vies des uns et des autres, en se gaussant de la sagesse des études académiques.
La musique que nous allons proposer, sera issue de mélodies extraites d’œuvres de 1580 à 1650. Un panel de compositeurs sur environ soixante-dix années nourrira notre entreprise de reconstituer l’ambiance musicale et sonore qui fut celle de la famille Poquelin et du jeune Jean-Baptiste.
Pour ce qui est des chansons, nous avons pris l’option avec l’écrivain Pierre Senges d’en composer une douzaine. Avec ces dernières, nous nous placerons dans l’esthétique du pastiche et de la parodie, en imitant d’une certaine manière, les couplets et refrains que l’on pouvait entendre dans les théâtres du Pont Neuf.
Les manuscrits dits de « Philidor l’ancien » nous seront précieux, car ces derniers sont des copies de partitions de la fin du XVIe siècle et du début du XVII° ; ils nous replongent ainsi dans l’atmosphère des bals illustrés par exemple sous le règne d’Henri IV.
Concernant les chansons, elles permettront aux jeunes auditeurs de goûter à la saveur comique des personnages du théâtre de la Foire. Ainsi, nous allons nous appliquer à l’évocation d’une galerie ludique de stéréotypes que l’on retrouvera par la suite tout au long de l’œuvre de Molière : par exemple, nous aurons des chansons sur le médecin, l’avarice, Scaramouche, le mensonge, le matador, etc.
Quelques pistes des travaux proposés
Ces pistes seront adaptables et discutées en préambule de notre résidence avec les enseignants.
La voix
La justesse de la voix n’est pas un miracle en soi. Elle dépend d’une technique du souffle, d’un soutien, « appogiato, en italien », à savoir un appui accompagné dune bonne gestion de la colonne d’air.
Des exercices simples et ludiques peuvent être enseignés ; ils ne nécessitent pas d’une connaissance approfondie de la musique.
Concernant cette justesse, elle peut être appréhendée par un travail d’écoute mutuel. Ecouter l’autre et imiter les voix en plagiant les caractères des individus des pièces de théâtre.
Par exemple le placement de voix de « l’avare » ne sera pas le même que celui du « Matamore », etc. L’émotion peut servir à relativiser la crainte de la justesse.
La voix n’est pas que chantée ; cette dernière peut nous amener vers le travail de l’éloquence.
L’éloquence
Rappelons qu’au XVII° siècle, l’éloquence était une matière essentielle que des jeunes élèves comme Molière étudièrent auprès des enseignants jésuites. Savoir défendre avec conviction n’importe quel sujet.
L’éloquence demeure une arme expressive de première nécessité ; elle doit nous servir bien au-delà de la scène.
Les idées ne sont pas les seuls éléments victorieux d’un combat d’éloquence car c’est bien souvent une prestation vocale qui fait que l’on est écouté ou pas.
Parler en public est un travail vocal, de concentration d’énergie qui nécessite d’être bien « placé » dans sa voix : souffle bas, larynx contrôlé, détente des muscles, etc.
Bien des comédiens, des avocats, des politiques travaillent leur déclamation avec des chanteurs. Rappelons que les acteurs de Racine étudiaient la tessiture de leur voix tout comme de l’art lyrique et qu’ils y ajoutaient une maîtrise presque millimétrée du geste.
Le geste et la parole
Art de la gestuelle ou de la gestique, selon les écoles proposées. Un art que l’on pratique au quotidien, comme Monsieur Jourdain, sans s’en rendre compte. Le geste précède la parole, il la souligne et la ponctue.
Mais plus encore, le geste nous installe dans un groupe. Il nous signifie, il nous identifie. Une main peut signifier la peur, tandis que l’autre sera menaçante. Une autre apaisera tandis que le regard sera suppliant.
Le regard, l’expression du visage sont aussi des alliés du geste pour parfaire la fonction du mot.
Toutes ces techniques sont adaptables. Nous ne demanderons pas à nos élèves de suivre la gestuelle d’un homme de cour. Mais plutôt, de se concentrer sur ce qu’il souhaite présenter aux autres de sa propre silhouette et de son attitude. Prendre conscience de sa place dans l’espace, gérer son « aura », lui donner toute sa prestance sans pour autant aller menacer l’espace de l’autre.
L’autre
C’est ce travail qui nous importe avant tout dans le choix d’une résidence dans un établissement scolaire. Il est important d’apprendre à découvrir l’inhabituel, à accepter un quotidien d’individus que nous ne côtoyons pas avec régularité. L’artiste est trop souvent identifié, par nos médias, comme un être exceptionnel, rare, original. L’artiste n’est rien d’autre qu’une force de travail « intellectuel et physique » mise en branle comme tous les autres métiers du monde. Les études et les exercices ressassés sur des années et des années de répétitions font de l’artiste un individu qui continue sa fonction d’étudier, presque à chaque moment de sa pratique artistique.
Le respect, la remise en question de nos convictions, l’interrogation puis l’acceptation sont les éléments quotidiens de notre mise en spectacle.
Au-delà de Molière, au-delà de la littérature, de la musique, des arts en général, c’est bien sûr une part de notre humanité que nous souhaitons partager avec des élèves et des enseignants.
Plus nous avançons dans la pratique de nos métiers artistiques et plus nous sommes convaincus que la Culture a peut-être de plus en plus sa place dans les écoles autant que dans les salles de spectacles. En tous les cas, l’une ne va pas sans l’autre.